Interdictions, tolérances et réalités cachées
Entre répression et tolérance tacite, l’Amérique continue d’entretenir une relation ambiguë avec la prostitution. Derrière la façade légale, les Gentlemen’s Clubs, les salons de massage et les plateformes en ligne témoignent d’une réalité économique et sociale que la loi préfère souvent ignorer.
Dans plusieurs États, des voix s’élèvent pour repenser le cadre juridique : non pas pour banaliser la prostitution, mais pour protéger celles et ceux qui la pratiquent, souvent dans des conditions précaires et sans recours légal. Les arguments varient : santé publique, lutte contre les violences, ou simple réalisme, mais le tabou reste puissant.
Une interdiction presque totale de la prostitution aux États-Unis
Aux États-Unis, la prostitution est illégale presque partout. La seule exception notable se trouve dans le Nevada, où certains comtés ruraux autorisent la pratique, mais uniquement dans des maisons closes agréées. À Las Vegas ou Reno, pourtant situées dans cet État, elle reste interdite.
Partout ailleurs, offrir ou acheter des services sexuels est puni par la loi. Les peines varient selon les États, et peuvent aller d’une simple amende à plusieurs mois de prison, autant pour la personne prostituée que pour le client.
Certains territoires, comme New York ou San Francisco, font toutefois preuve de plus de tolérance : les autorités privilégient souvent la prévention et la santé publique plutôt que la répression. Des associations et des élus militent pour la décriminalisation, c’est-à-dire la fin des sanctions pénales sans légalisation complète. D’autres États, plus conservateurs, maintiennent une ligne dure, souvent au nom de la lutte contre la traite humaine. Cela ne veut pas dire du tout que la prostitution n’y est pas présente, parfois même, au contraire. Hypocrisie totale.
Le résultat est une Amérique à deux vitesses, entre pragmatisme local et morale nationale, avec un paradoxe persistant : un pays qui interdit la prostitution tout en laissant prospérer, en ligne ou ailleurs, une économie du sexe toujours plus présente.
Les villes dites « points chauds » de la prostitution aux États-Unis
New York (NYC)
Certaines sources recensent au moins 629 « illicit massage businesses » (IMB) à New York, soit un réseau très dense de salons de massage suspectés d’offrir des services sexuels. Dans les études de l’Urban Institute sur l’économie souterraine du sexe, New York est systématiquement mentionnée comme l’une des grandes villes où coexistent escortes, salons “érotiques” et prostitution de rue. Les salons de massage “orientaux” (Asian massage parlors), servent parfois de couverture pour des services sexuels, et forment des grappes dans certains quartiers de la ville.
Los Angeles / Comté de Los Angeles (Californie)
Le comté de Los Angeles est également un foyer de salons de massage à caractère sexuel, avec des regroupements dans certaines zones urbaines. La Californie dans son ensemble abriterait plus de 3 300 “illicit massage businesses” – c’est-à-dire des établissements qui dissimulent des services sexuels, soit un tiers des IMB du pays (Illicit Massage Business).
Miami
Dans l’étude de l’Urban Institute portant sur huit grandes villes (Atlanta, Dallas, Denver, Kansas City, Miami, Seattle, San Diego, Washington DC), Miami apparaît comme un des marchés souterrains les plus rentables pour le commerce sexuel (massage, escortes, prostitution de rue) avec des estimations de marchés cachés très élevés.
Houston
Houston est régulièrement signalée parmi les villes avec le plus grand nombre de cas de trafic sexuel. Entre 2007 et 2016, on y a recensé 1 021 cas de trafic.
On y recenserait aussi des dizaines, voire des centaines, de salons de massage illégaux générant des revenus importants : un exemple donné mentionne 292 IMB à Houston avec une estimation de 107 millions de dollars de revenus annuels dans ce segment spécifique.
Portland (Oregon)
Un journal local note que les salons de massage “illicites” seraient passés de 36 à au moins 114 en quelques années dans la zone de Portland, reflétant une croissance rapide de ce segment de « services ».
Washington, D.C.
La capitale est aussi un terrain fertile pour les salons de massage “érotiques” : certains rapports estiment, pour l’ensemble des États-Unis, qu’il y aurait près de 5 000 salons de massage érotiques (ou “sensuels”) répartis sur le territoire, dont beaucoup dans les grandes métropoles comme Washington DC.
Dans toutes ces villes, une grande partie de l’activité reste illégale et “cachée”. Effet de taille / population : les métropoles attirent naturellement plus de clients, plus de flux migratoires, et plus de “marché” pour les activités clandestines. La forme de prostitution varie selon la ville : dans certaines, c’est plutôt les escortes et le “sugar dating” ; dans d’autres, les salons de massage ou les clubs pour adultes.
“Indoor sex work” domine désormais : selon une étude, jusqu’à 85 % de l’activité sexuelle commerciale aux États-Unis se déroule dans des lieux non visibles (salons, maisons, via Internet) plutôt que dans la rue. Le fait que certains salons de massage ou “business fronts” soient délibérément construits pour dissimuler des activités sexuelles rend leur comptage difficile.
Pourquoi certaines villes “laissent faire” plus que d’autres
Si la prostitution reste illégale dans la quasi-totalité des États-Unis, certaines villes ferment partiellement les yeux, ou appliquent la loi avec plus de souplesse. Ce n’est pas par laxisme, mais souvent par réalisme économique, social ou touristique.
Une question d’image et d’économie locale
Des villes comme Las Vegas, Miami, Los Angeles ou New York vivent en partie de l’industrie du divertissement, du luxe et du plaisir. Elles accueillent un tourisme festif, parfois en quête d’expériences “hors normes”.
Les autorités locales savent que ces pratiques existent et qu’une répression trop brutale risquerait de ternir leur image de “destination fun”. À Las Vegas, par exemple, le slogan officieux “What happens in Vegas, stays in Vegas” résume cette tolérance implicite : tant que cela reste discret, cela fait partie du décor.
Le poids du tourisme sexuel indirect
Sans promouvoir officiellement la prostitution, certaines villes ont compris qu’un environnement “adulte” attire une clientèle spécifique — souvent masculine, aisée et consommatrice.
Les Gentlemen’s Clubs (ou strip clubs), les salons de massage “de luxe” ou les services d’escortes fonctionnent dans cette zone grise : ils rapportent de l’argent, créent des emplois, et génèrent des taxes via les activités connexes (hôtellerie, restauration, transport). Les autorités ferment parfois les yeux, préférant contrôler sans assumer, tant que cela reste économiquement rentable et politiquement discret.
Des choix culturels et politiques locaux
- La perception du sexe et de la morale varie énormément d’un État à l’autre.
- Dans les États du Sud ou du Midwest, à forte tradition religieuse, la tolérance est quasi nulle.
- À l’inverse, les grandes métropoles “progressistes” comme San Francisco, Seattle ou New York adoptent souvent une approche plus pragmatique et sociale : elles privilégient la santé publique, la prévention des violences, et la réduction des risques plutôt que la criminalisation systématique.
Une stratégie implicite de régulation
En pratique, certaines villes considèrent qu’il vaut mieux encadrer ce qu’on ne peut pas faire disparaître. En laissant les activités se concentrer dans certains quartiers ou types d’établissements (clubs, salons, hôtels), les autorités gardent un œil sur ce milieu, tout en évitant sa dispersion incontrôlée dans les rues. C’est une forme de régulation informelle, sans cadre légal, mais basée sur le compromis.
Les salons de massage illicites – Illicit Massage Business
On estime qu’il existe plus de 9 000 IMB aux États-Unis, répartis dans toutes les grandes métropoles. La Californie à elle seule abriterait environ 3 300 IMB, soit près d’un tiers du total national. Ces établissements opèrent souvent derrière des façades anodines : vitrines opaques, horaires tardifs, employés ne parlant pas anglais, paiements en liquide. Beaucoup sont liés à des réseaux transnationaux, souvent asiatiques, exploitant des femmes venues de Chine, de Corée ou de Thaïlande, dans des conditions précaires. Les autorités locales mènent régulièrement des raids ou fermetures administratives, mais les structures se reconstituent vite sous d’autres noms.
Un film à voir sur le sujet : Blue Sun Palace.
Le volet social de la prostitution aux États-Unis : entre survie, précarité et zones grises
Derrière les façades des grandes villes américaines, la réalité de la prostitution est multiple. Si la rue reste présente dans certains quartiers, une grande partie de l’activité s’est déplacée vers des espaces plus discrets : salons de massage, clubs d’hôtesses ou Gentlemen’s Clubs, où la frontière entre divertissement et commerce sexuel devient floue. Ces lieux opèrent souvent dans la légalité – du moins en apparence – mais abritent souvent des pratiques tarifées tolérées ou ignorées par les autorités locales. On y trouve toutes les catégories de populations selon le prix des services : de jeunes étudiants, des personnes de classes populaires ou moyennes, des personnes très fortunées, des hommes d’affaires ou des commerciaux avec leurs clients.
Pour beaucoup, la prostitution reste avant tout une question de survie. Nombre de travailleuses et travailleurs du sexe sont issus de milieux précaires, parfois migrants ou en rupture familiale. Certains se tournent vers cette activité pour payer leurs études, subvenir à leurs besoins, ou faute d’autres opportunités. Les risques sont nombreux : violence, dépendance, exploitation, sans parler de la stigmatisation sociale, encore très forte.
Des associations comme SWOP USA (Sex Workers Outreach Project) ou le Red Umbrella Fund militent pour plus de reconnaissance et de protection. Leur message est simple : décriminaliser ne revient pas à encourager, mais à protéger. Dans un pays où l’accès aux soins et à la sécurité sociale est limité, beaucoup estiment qu’une approche plus humaine serait aussi une question de santé publique.
La partie économique de la prostitution : un marché invisible mais bien réel
Même interdite dans la majorité du pays, la prostitution alimente une économie parallèle florissante. Selon plusieurs études, le marché américain du sexe pèserait entre 10 et 15 milliards de dollars par an, en incluant les escortes (homme ou femme), les services en ligne, les clubs privés et les salons de massage. Si l’on élargit à l’ensemble du divertissement pour adultes (films, plateformes, clubs, caméras en ligne), le chiffre grimpe à plus de 280 milliards de dollars dans le monde, dont une part importante aux États-Unis.
Les Gentlemen’s Clubs ou strip clubs participent largement à cette économie. Officiellement, ce sont des établissements de divertissement pour adultes, centrés sur la danse et la consommation d’alcool. Mais beaucoup fonctionnent dans une zone grise, où les danses privées et les services VIP peuvent se transformer en échanges tarifés. Selon les estimations, le marché américain des clubs de strip-tease représenterait entre 4 et 7 milliards de dollars par an, et un club de taille moyenne peut générer 15 000 à 20 000 $ en une seule soirée.
Les salons de massage, eux, sont encore plus discrets. Légalement enregistrés, certains sont soupçonnés d’abriter des activités sexuelles payantes. En 2014, une étude de l’Urban Institute estimait que dans huit grandes villes américaines (dont Atlanta, Miami, Seattle et Washington D.C.), l’économie souterraine du sexe représentait entre 40 millions et 290 millions de dollars par an selon la ville. Ces établissements emploient souvent des femmes immigrées, parfois exploitées, dont la situation reste invisible et précaire.
Enfin, Internet a redéfini complètement le marché. Des sites comme OnlyFans ou Seeking Arrangement permettent désormais de monétiser directement l’image ou la compagnie, sans intermédiaire. Une forme de “digitalisation du désir”, plus sûre pour certains, mais toujours hors de tout cadre légal clair.
Résultat : une économie du sexe massive, diffuse, et largement non déclarée, qui continue de prospérer dans l’ombre d’une législation figée.
La culture américaine autour de la prostitution : hypocrisie, fascination et puritanisme
Parler de prostitution aux États-Unis, c’est toucher à l’un des plus grands paradoxes du pays : une société à la fois profondément puritaine et obsédée par le sexe (lien de cause à effet ?).
D’un côté, la morale religieuse, l’héritage protestant et la culture du “bien-pensant” condamnent tout commerce du corps. De l’autre, les mêmes villes qui interdisent la prostitution abritent des Gentlemen’s Clubs luxueux, des salons de massage “exotiques” à chaque coin de rue, et une industrie du divertissement sexuel omniprésente.
Les Gentlemen’s Clubs sont devenus un symbole de cette hypocrisie culturelle. Présentés comme des lieux de divertissement adulte “chic”, ils sont aussi fréquentés par les élites économiques ou politiques, sans que cela ne choque vraiment. On y dépense sans compter, on y entretient une illusion de glamour et de pouvoir, dans un pays où une simple transaction sexuelle en dehors de ces lieux peut mener en prison.
Les salons de massage, eux, incarnent l’autre face du miroir : celle du silence et de la clandestinité. Derrière les rideaux opaques, des femmes – souvent immigrées – travaillent dans des conditions précaires, loin du faste et de la lumière. L’Amérique du spectacle cohabite avec l’Amérique de l’exploitation, dans une indifférence soigneusement entretenue.
Sur Internet, le double discours persiste. Les plateformes offrent un cadre “moderne” et “libre”, où l’échange d’argent contre une forme d’intimité est devenu socialement acceptable, voire tendance. On ne parle plus de prostitution, mais de “content creators”, de “sugar dating” ou de “self-empowerment”.
Le vocabulaire change, la logique reste la même : le sexe se consomme, mais ne se dit pas.
Entre moralité affichée et économie du plaisir, les États-Unis avancent sur une ligne fine : celle d’un pays qui se veut vertueux, mais où le désir, la solitude et l’argent continuent de nourrir l’un des marchés les plus anciens et les plus rentables du monde.
Nous vous laissons vous faire votre avis, entre adultes consentants !
Crédit photo : Adrià Cerezo Bertran