Entre ombre et lumière

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Le prom, une tradition américaine

Sur une photo jaunie accrochée sur le mur près de l’escalier, un couple somptueusement costumé repose dans un cadre grouillant d’émotions, de mouvement et d’excitation. Cela pourrait être le portrait d’une scène amoureuse de Shakespeare ou d’un opéra de Wagner, mais il s’agit du bal de promo américain. Le joli moi de mai est arrivé avec la remise des diplômes et sa célébration tant attendue par les lycéens américains. Appelé prom ou prom night, cette fête se tient traditionnellement à la fin de la dernière année d’un degré d’étude du lycée aux États-Unis pour en célébrer l’achèvement. Ils sont sophomores (Seconde), juniors (Première) ou seniors (Terminale) et s’apprêtent à vivre l’un des moments phares de la société américaine et des débuts de leur vie d’adulte.

Le prom figure depuis longtemps dans la culture américaine. Semblable à un mariage ou des fiançailles, le choix de son ou sa cavalier(e) et l’ensemble des préparatifs incluant robes, chaussures, costumes, coiffures, maquillage, fleurs au poignet et autre accessoires de soirée, font partis d’un rituel bien rôdé et répondent à une certaine attente de la société américaine. Car, voulu ou non, à travers l’expérience du prom, les adolescents apprennent ce qui est « hot » ou non, ce qui correspond à un grand nombre de stéréotypes intégrés ou pas par leur famille, leurs amis, leur lycée et la société.

En effet, le prom est un événement marketing comme la Saint-Valentin ou Halloween le sont. Une soirée de plus fantasmée qui mythifie la figure de l’adolescent(e) américain(e). Au-delà des paillettes, des papillons dans le ventre, des mains moites lors d’un slow qui ne semble jamais s’achever, de l’image reluisante portée par l’inconscient collectif et les teenages movies, de la photo accrochée sur le mur près des escaliers et du premier baiser, le bal de promo révèle les dessous d’une Amérique profondément marquée par des stéréotypes et paradoxes culturels et sociaux. Aimé ou non, critiqué ou non, le prom marque toutes mémoires et affecte même ceux qui n’y sont jamais allés.

Promenade pour débutantes

L’Amérique fascine pour le rêve américain et les Américains sont fascinés par l’argent et la célébrité ce qui résume ce qu’est le bal de promo aux USA. Des yeux qui brillent face à l’éventualité d’avoir la robe et le costume de ses rêves, face à l’élection du roi et de la reine de promo, face à toutes les premières fois qui doivent, à coup sûr, se dérouler comme on l’a souhaité.

Bien que le bal de promo soit l’un des événements majeurs pour tous adolescents américains depuis le XIXe siècle, ce dernier tire son origine en France. Ce sont en effet des étudiants de l’université de Paris qui l’ont instauré au début de la Renaissance. Une tradition jugée passéiste en mai 1968 et qui a presque depuis totalement disparu en France.

Aux États-Unis, c’est au milieu des années 1800, que des bals sont organisés pour les jeunes américain(e)s afin d’afficher leurs bonnes manières et leur étiquette sociale. Ils sont appelés « promenade » et ont une fonction similaire à celle du bal des débutantes – une occasion d’introduire une jeune fille à la société et de lui trouver un mari « éligible » à sa classe sociale ainsi qu’à la richesse de sa famille. Ces bals rassemblent toutes les premières fois d’un(e) adolescent(e) et sont considérés comme le premier événement social de sa vie d’adulte. Première fois qu’il/elle sort la voiture familiale après la tombée de la nuit, premier vrai costume et robe de soirée (chère), premier rendez-vous galant la plupart du temps avec son ou sa cavalier(e).

Le bal de promo : Reflet des injustices de la société américaine

Mais, même si la société a tendance à penser au bal comme la célébration ultime de la féminité américaine en particulier et un rite de passage pour les adolescent(e)s, il comporte des racines intrinsèquement problématiques. Ces bals de promos sont régis par les mêmes règles et codes vestimentaires que le bal des débutantes et dévoilent de profondes injustices raciales et sexistes. En effet, les jeunes filles n’ont pas le droit de porter des vêtements masculins et les adolescents noirs sont exclus des bals de promo aux USA.

Vestige de ségrégation raciale

Dans les années 60 et 70, après la parution de l’arrêt de la Cour suprême Brown vs Board of Education en 1954, de nombreuses écoles blanches ayant intégré des étudiants noirs à leurs classes, ont commencé à organiser deux bals de promo. Un pour les étudiants blancs et un pour les étudiants noirs. Dans le cas célèbre du Charleston High School au Mississippi, les parents blancs ont commencé à organiser des bals sur invitation uniquement pour les étudiants blancs en 1970. Ce fut l’année où les étudiants noirs ont commencé à y assister. En réponse, les parents noirs ont organisé leur propre bal de promo pour leurs enfants.

Même si aujourd’hui le bal de promo aux USA tend à être plus démocratique, il comporte toujours sa part d’injustices. En 2013, le lycée Wilcox County High School en Géorgie n’a pas parrainé de bal officiel pour ses 400 élèves. Au lieu de cela, parents et adolescents ont organisé leurs propres soirées privées hors site, connues comme le bal blanc et le bal noir (white prom and black prom). Un vestige de ségrégation raciale qui persiste.

Repousser les règles de genre

En plus du problème ségrégationniste des proms, les étudiants ont également repoussé les règles de genre sur la tenue du bal et les politiques qui interdisent les couples de même sexe. En 1979, deux étudiants sont devenus les premiers homosexuels reconnus à assister ensemble à un bal de promo du secondaire aux États-Unis, a déclaré le National Gay Task Force, une organisation américaine de défense de la justice sociale à but non lucratif. Depuis lors, les étudiants ont continué à faire pression pour des bals de promo inclusifs LGBTQ où les étudiants peuvent emmener qui ils veulent à la danse, et s’habiller d’une manière qui n’adhère pas aux normes de genre traditionnelles.

C’est ainsi que Phil Branch décide de créer son propre costume fait de satin blanc. Il conçoit également la robe de sirène de son date avec le même tissu que son costume, recouvert de dentelle rose. Il ne réalise pas encore que cela constitue les prémices d’un “coming out” avant tout d’abord pour lui-même puis pour ses amis et sa famille. Ce costume ne lui a pourtant pas permis d’être accroché par sa famille au mur près de l’escalier comme la tradition le souhaite.

Bal de rêves et de réalité

La culture des teenages movies

Au cours des années 1980, émerge un nouveau genre de films pour adolescents avec comme sujet le bal de promo. On y trouve la fameuse scène de l’élection et la danse, comme Pretty in Pink (1986), She’s All That (1999) et Mean Girls (2004). Toute une romance et un fantasme se développent autour de la figure de l’adolescent(e) américain(e). Ces films poussent les lycéen(nes) les plus riches à louer des limousines au bal de promo et à se tenir dans des hôtels de luxe plutôt que des gymnases.

Le scénario conventionnel et fantaisiste veut qu’une adolescente maladroite d’un milieu modeste finisse avec le garçon populaire et idéal du lycée comme dans Cinderella (2015). Ces films décrivent l’enfer d’être au lycée. Il y a toujours le personnage phare de la pom-pom girl populaire mais imbuvable, du meilleur ami introverti et acnéique, du joueur de football un peu bêta mais mignon et de la meilleure amie qu’on finit par oublier parce que… On ne s’en souvient déjà plus. Ces personnages créés de toutes pièces répondent à des clichés répandus par les lycéen(nes) eux-mêmes et les confortent sans les détruire ou les détourner.

Du rêve à la réalité

Bien sur, les bals de promo aux États-Unis ont leur lot de dramas comme dans ces films. Et probablement que de jolies romances débutent ou se terminent aux premiers pas de la danse. Il reste parfois un goût amer pour celles et ceux qui, trop effrayés de ne pas avoir de cavalier(e), sont restés chez eux pot de glace en main. Kailee, senior, a ressenti beaucoup de pression d’avoir un cavalier mais a décidé d’y aller quand même aux bras de ses best friends. Elle a connu des lycéens qui ont choisi d’y aller avec quelqu’un qu’ils n’appréciaient pas, de peur d’y aller en solitaire.

Un goût amer aussi pour celles et ceux craintifs de se montrer tels qu’ils sont, ont préféré la résistance à travers une fête Anti-prom ou la participation unique à l’after-prom où tout le monde bien éméché en oublie leur présence. Bridgette, senior, était une adolescente rebelle et anti tout. N’aimant pas l’idée de dépenser un penny pour sa robe ni sa coiffure ou de participer à un “bal boiteux de banlieue” se tenant dans un bus dont le thème est “Scintille à minuit”, elle ne pense qu’à une chose, boire et se moquer du reste.

Mais il y a des cas heureux ou drôles avec un peu de distance. Après quatre participations durant le lycée et l’université au fameux bal de promo, Karla garde de bons souvenirs de sa prom de Première dont elle est Présidente. Après six mois d’organisation, de compromis, de stress et de longues préparations, elle dansera jusqu’au bout de la nuit et fera gagner les billets de loterie à un ami (en trichant quelque peu). Mais, elle est teintée d’un peu de déception lors de son année de Terminale. Portant la robe de ses rêves achetée par sa mère à 300$, elle s’imagine ce moment magique avec son amour de lycée. Une nuit d’extravagance bienheureuse. Malgré l’amusement avec ses meilleurs amis, elle a un arrière goût d’échec après avoir perdu l’élection de la reine de promo face à une autre étudiante – aujourd’hui strip-teaseuse.

Marketing et société de consommation à l’Américaine

Les bals de promo aux États-Unis ont pris leur actuelle ampleur dans les années 1950, lorsqu’un boom de l’après-guerre et un nouveau marché de consommation axé sur les adolescents ont fait de cette célébration, un pilier de l’année scolaire. Un vrai marché se met alors en place à la fois sur les robes de princesse, de sirènes, les costumes des garçons, le maquillage, la coiffure, etc. Des livres de conseils pour adolescents sont même publiés pour enseigner aux filles de ne pas usurper le droit des garçons à choisir leur propre date auquel cas elles ruineront leur vie amoureuse, selon Ann Anderson dans High School Prom.

Le lycée de Fenton dans le Michigan organise une exposition de stands relatifs au bal de promo. Promu comme un guichet unique pour le bal, l’expo présente des vendeurs de robes et de smoking, des photographes, un salon de beauté, un service de limousine, un fleuriste,… En clin d’œil aux universitaires, l’événement a été présenté comme une collecte de fonds pour le journal de l’école. Si certains organisent leur salon d’exposition, d’autres récoltent des fonds grâce aux sponsors. Ces derniers se voient alors promouvoir lors du bal de promo avec des encarts, flyers et bannières publicitaires.

Garfield Bowen, Président de PromGuide, souligne que la participation à des événements officiels en limousine est un rite de passage et un signe de richesse. Les étudiants s’attendent à être traités comme des clients et non comme des enfants. Ils veulent être évalués pour l’argent qu’ils dépensent. Ce site web (maintenant disparu) cherchait à créer une expérience de rêve pour les adolescents avec des robes de soirée fantaisie, des smokings et des limousines. Il l’appelle “le Google du bal”. Selon Bowen, le marketing du prom “capture l’imagination de ce qu’est le bal et à quel point la soirée est spéciale”.

Plus ça change, plus c’est la même chose

Quoi qu’on en pense, personne n’est indifférent au bal de promo aux États-Unis. Il fait rêver pour ceux qui ne l’ont pas encore vécu et ceux qui le fantasmeront toute leur vie. Il éveille en nous les paillettes, le tapis rouge, la robe de cendrillon et le parfait date au bras duquel on dansera. Ou, il définit ce que nous rejetons depuis des siècles, les injustices sociales et raciales. Mais, pour tous les Américains, le prom reste un rite de passage qui comprend évidemment sa part d’ombre et de lumière.